Livre (Rhône-Alpes): Le temps obstiné de Jean-Pierre Martin

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Un grand merci à Fattorius pour sa contribution


temps-obstine.gifLe temps obstiné
de Jean-Pierre Martin

Veurey, Le Dauphiné Libéré, 2008


Il y a des ouvrages qu'on ne peut trouver que sur un terroir bien précis, durant une période bien délimitée, ce qui leur donne le prix des petites raretés. Et le pire, c'est qu'il arrive que de tels textes se dévorent et laissent le souvenir d'un moment de lecture plus qu'agréable. "Le Temps obstiné", roman de Jean-Pierre Martin, est de ceux-ci. Historien militaire actif en Isère, auteur d'ouvrages théoriques assez nombreux, il a décidé de franchir le pas de la fiction. "Le Temps obstiné" a donc servi de feuilleton d'été au journal "Le Dauphiné libéré", et a paru en poche dans la foulée. Je me le suis procuré en octobre dernier, lors d'un fugitif passage à Grenoble, le temps d'écrire une dictée. Et après lecture, je dois avouer que je n'ai pas été trompé sur la marchandise.

Un régionalisme assumé
J'avais déjà eu l'occasion de toucher au polar régionaliste avec "Meerschweinchen", feuilleton d'été écrit en allemand et signé Barbara Saladin, publié dans le journal bâlois "Volksstimme" - un moment de lecture agréable avec ce qu'il faut de suspens. Avec "Le Temps obstiné", le lecteur se retrouve avec quelque chose de plus développé (250 pages quand même), mais qui recourt à des recettes classiques pour le genre, et communes au récit bâlois. En particulier, l'ancrage local est garanti par la mention de lieux-dits et de villages, voire par celle de rues et places de Grenoble. Jean-Pierre Martin fait en outre peser un élément peu agréable des vies villageoises: le secret de famille, lourd à porter de préférence. Cela lui permet de parler d'un double élément fédérateur, plusieurs décennies après son aboutissement: les guerres mondiales. Pour l'auteur, elles sont l'occasion de mettre à profit un peu de sa science; mais, comme dans tout bon récit, elles sont également ferments de tragédies, mais aussi, en l'occurrence, de fortunes.

Est-ce qu'une telle approche est rebutante pour un lecteur qui ne connaît pas la région dépeinte dans le récit? A priori, on pourrait le croire. Mais il n'en est rien: le profane peut toujours imaginer les lieux décrits, à défaut d'en avoir la vision que peut en avoir un lecteur local. Il n'y aura peut-être pas le frisson de la description d'un lieu familier (mais une telle sensation est-elle si fréquente quand on vit à Fribourg ou à Guéret et que tant de romans se déroulent à Paris, par exemple?), mais l'imagination comble cette lacune afin de créer malgré tout un récit aux décors cohérents. Et au surplus, le lecteur lointain peut ainsi découvrir un ailleurs peu familier, ou se remémorer, au travers d'une allusion, ses dernières vacances.

Secrets de famille

Le secret de famille, en l'occurrence, c'est le vol d'un monceau important d'or de l'Etat, pendant la Première guerre mondiale. La fortune de la famille Chaix est faite! Mais le patriarche de la famille Gauthier est également dans le coup, même s'il meurt au champ d'honneur avant d'avoir pu profiter du pactole. De génération en croc-en-jambe, le roman relate l'épilogue d'une affaire qui aura duré trois quarts de siècle (l'action se déroule en 1984) et aura impliqué trois ou quatre générations, le tout dans la région du Trièves.

Et qui dit "secret de famille" évoque forcément une part de mystère, voire de mysticisme. L'auteur voit juste, et n'hésite pas à parler, en évoquant les morts successives dans la famille Chaix, de "malédiction". Morts inexpliquées, disons-le: le lecteur fait rapidement le lien entre les familles Chaix et Gauthier, mais il est loin de se rendre compte des mensonges et faux-semblants parfois longtemps tenus qui couvrent toute l'affaire. Intérêt du récit, donc: le lecteur croit savoir, mais l'auteur sait démontrer, quand il le faut, qu'il en sait plus que son lecteur... et peut faire rebondir le récit comme il veut. Pour un feuilleton, c'est une condition sine qua non!

L'option polar est présente également, nous l'avons dit, mais elle est, quelque part, seconde: le suspens inhérent au genre n'intervient vraiment qu'aux chapitres 4 et 5, avec l'arrivée des premières morts mystérieuses dans la famille Chaix - des morts qui permettent l'ouverture d'une enquête qui mettra au jour la proximité des enquêteurs... et des victimes.

Au final, on découvre donc un auteur qui maîtrise les ficelles du roman policier et des retournements de situation qui lui sont associés. Son récit fonctionne bien et traverse, mine de rien, presque un siècle d'histoire - avec la grâce d'un style fluide et d'une prose qu'on dévore.

Jean-Pierre Martin, Le Temps obstiné, Veurey, Le Dauphiné Libéré, 2008.

Retrouvez ce billet et bien d'autres sur le blog de Fattorius

Publié dans Rhône-Alpes

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